Pour une fois, nous sortons un peu des sentier battus avec un sujet jamais traité dans ces pages jusqu’à présent: une bande son de jeu vidéo. Tant qu’à faire autant en choisir une avec de la tripaille, des démons et de la 8 cordes. Vous ne rêvez pas, notre sujet est bien la B.O. de Doom. Et plus précisément de celle de Doom Eternal.

Dans cette première partie, nous allons remonter aux origines de Doom et passer en revue les B.O. des différents jeux ainsi que les profiles de ceux ayant les ayant composées. Puis dans la seconde partie nous nous attaquerons au morceau de choix: la B.O. de Doom Eternal.

Doom, qu’est-ce que c’est?

Il n’est bien entendu ici pas question du genre musical (chiant) avec une note toutes les 2 heures et un mec à la voix gutturale. Nous parlons ici du jeu vidéo qui a carrément inventé un genre: le FPS (first person shooter). Que les intégristes du jeu vidéo se calment de suite, je sais que ce n’est pas le premier du genre à proprement parler. Bref Doom c’est en vue subjective, ça va vite, c’est gore et Satan l’habite.

Doom vs Doom Eternal

L’origine du Mal

Pourquoi la B.O. de Doom Eternal et pas celle de Doom 2016? Ou bien celle de Doom premier du nom (1993)? Ou bien celle d’un autre jeu avec une B.O. complètement folle comme Hotline Miami ou Final Fantasy VII Remastered? Hotline Miami est plus une compil’ (de qualité certes) qu’autre chose. Et Final Fantasy n’a pas de BFG. Blague à part, bien que le boulot fait par le trio Uematsu/Hamauzu/Suzuki sur la musique soit absolument incroyable, ça ne me parle pas. Donc pourquoi celle d’Eternal plus que celle de n’importe quel autre Doom? Tout simplement parce que musicalement c’est l’aboutissement ultime du son Doom.
Explications.

Doom-box

La série des Dooms a un long passif avec le Metal. Dès Doom premier du nom, le brief de John Romero (co-créateur du jeu) à Robert Prince (le compositeur) était de mettre essentiellement de la Techno et du Métal dans la musique. Les oreilles les plus fines ont détecté dans les musiques de certains niveaux des passages qui ressemblaient plus ou moins fortement à des chansons de groupes connus. Par exemple, le niveau Hangar se voit accompagnée d’un morceau ayant une parentée plus ou moins assumée avec le riff de No Remorse de Metallica. Idem pour Toxin Refinery qui reprend à sa sauce Criminally Insane de Slayer. Il y a aussi du Mouth For A War de Pantera qui traîne ici et là.
Mais Prince est allé plus loin en travaillant également les ambiances avec des claviers et des synthés parfois lourd, parfois angoissant, parfois très anxiogène. Parce que Doom ce n’est pas que du bourrinage bas de plafond, c’est aussi une atmosphère pesante qui maintient le joueur sous pression même lorsque les combats lui laisse un peu de répit.

Doom-2-box

Doom II (1994), Robert Prince récidive et poussera la chose encore plus loin avec des accointances claires avec Pantera (This Love dans le niveau The Courtyard) et Slayer de nouveau (South Of Heaven dans The Citadel).

Doom-3-box

Doom 3 (2004) aurait dû avoir aux manettes Trent Reznor (Nine Inch Nails). Aurait car ce dernier a lâché l’affaire en cours de route à cause de la mauvaise gestion de Bethesda, l’éditeur du jeu. C’est finalement son ex-acolyte de Nine Inch Nails, Chris Vrenna, qui s’y collera. Doom 3 étant relativement différent de ces prédécesseurs, on est plus dans le jeu d’horreur que dans le fast FPS ultra bourrin, le résultat sera très orienté ambient bien que le thème principal du jeu soit plus orienté Metal/Indus.

Rip & Tear

Il faudra ensuite attendre 12 ans avec Doom 2016 (ou Doom 4) et l’arrivée de Mick Gordon – compositeur de l’intégralité de la B.O. – pour que la série se voit doté d’une identité musicale forte et propre.
Après quelques briefings et rencontres pour définir ce que devait être la musique du jeu, les thèmes abordés par celui-ci et son gameplay (un jeu à fort impact, rapide et violent), les pré-requis d’ID Software (le studio à l’origine du jeu) étaient:
– coller au jeu (évidemment)
– être novatrice
– plaire au plus grand nombre
– « pas de Metal »

Là-dessus, Mick Gordon est allé prendre conseil auprès d’un de ses amis qui lui a dit ceci:

Why would you do something that someone else has done before? It already exists. It’s already out there.

Fredrik Thordendal (Meshuggah)

S’en sont suivi des échanges entre Mick et le directeur artistique du jeu. Ce dernier en écoutant les premières maquettes a laissé entendre à Gordon qu’il était sur la bonne voix. Mais quelques moi plus tard, quand ce bon Mick a déboulé au siège d’ID Software à Dallas avec des synthés distordus, des rythmiques ultra lourdes, de la guitare à 8 cordes encore plus lourde et tout un tas de sons dissonants, les gens de chez ID sont restés cois. Non seulement il a fait une B.O. typée Metal mais en plus il a poussé tous les curseurs à fond. La suite est connue. La B.O. est acclamée aussi bien par la presse que les joueurs et le morceau BFG Division est passée à la postérité.

La bande son du jeu est devenue un tel phénomène qu’ID Software en a fait un coffret de vinyls devenu aujourd’hui ultra collector.

La B.O. de Doom 2016 sera, à juste titre, récompensée aux Game Wards où Mick Gordon viendra interpréter un medley sur scène devant un public visiblement pas préparé à la musique du bondissant australien.

« I take noises and turn them into other noises »

Mais qui est ce Mick Gordon sorti de nulle part ? Notre furieux est un compositeur australien né à Mackay dans l’état du Queensland.
Après avoir écumer les bars avec divers groupes, il s’oriente vers la création de bande son pour le jeu vidéo. Il fait ses premières armes sur la B.O. d’un jeu Bob l’éponge en 2007.

Doom Eternal - Mick Gordon

Il composera ensuite les bandes sons de divers jeux dont quelques épisodes de grosses licences comme Need For Speed. En 2013, il se fait remarquer pour son travail sur la B.O. du reboot du jeu de combat Killer Instinct et débute sa collaboration avec Bethesda sur les jeux Wolfenstein : The New Order (2014) et sa suite The Old Blood (2015). On notera que la B.O. de The New Order est co-composé avec son copain Fredrik.

C’est en 2016 qu’il acquiert ses lettres de noblesse avec la B.O. de Doom et se fait un nom auprès du grand public. Il aura malgré tout quelques détracteurs dont un journaliste qui dira de la B.O. de Doom que « c’est du bruit ». Avec une pointe d’autodérision il en fera la bio de son compte twitter.

En 2017, il travaille sur les B.O. du reboot de Prey, du giga-bide LawBreakers mais surtout celle de Wolfesntein II : The New Colossus toujours en compagnie de monsieur Thordendal. Comme le mec ne s’arrête jamais, en 2019 il est de la fête sur la B.O. de la superproduction Borderlands 3 et enfin en 2020, sort ce qui est à ce jour son chef d’oeuvre: Doom Eternal. Ce qui l’assoit à la table des grands compositeurs de B.O. entre Danny Baranowsky, Jesper Kyd ou Jack Wall pour ne citer qu’eux.
Voila pour le profile du garçon.

Pour les curieux

Dans cette excellente interview Mick Gordon explique comment il a composé la musique de Doom (2016), la genèse de la prestation live aux Games Awards et surtout il précise que la géniale Rip & Tear avait été rejeté au départ.

C’est tout pour cette première partie. Dans la seconde partie nous nous pencherons sur la spécificité du son « Doom » et sur la B.O. de Doom Eternal.