Rencontre avec le grand, que dis-je, l’immense Devin Townsend pour une séance de psychanalyse musicale très second degré avec un des artistes parmi les plus géniaux de la scène métal.

Devin Townsend - Ziltoid The Omniscient

NicKo: Comment vas-tu depuis la dernière tournée de Strapping Young Lad (SYL) ? Je me souviens que ce n’était pas la joie.
Devin : Fatigué et découragé (rire désabusé). Disons que j’en suis arrivé à un point où… avec Ziltoid je veux faire passer un message. « Regardez c’est une marionette, c’est le nouveau chanteur ». J’en suis au point où je n’ai plu du tout envie de faire de tournées, ni envie de faire de promo. Cette tournée promo a de très bonne chance d’être la dernière que je fasse. J’ai toujours envie de faire de la musique mais disons que je ne crois plus à la façon dont cela fonctionne.

NicKo: Même partir en tournée ?
Devin : ho que oui ! Je ne veux plus du tout tournée.
NicKo: mais tu ne penses pas que le métal est une musique qui a besoin d’être jouée live ?
Devin : bien sur ! Et j’espère qu’il y aura toujours des groupes pour le faire. Mais en ce qui me concerne je ne veux plus le faire. J’ai commencé à produire des groupes et j’espère en faire mon nouveau job tout en continuant à faire ma musique à côté. Comme je t’ai dit, il y a tout un tas de groupes qui adorent être sur les routes… hé bien je leur laisse les routes ! (rires)

NicKo: Revenons-en aux aventures de ta marionnette. Peut-on considérer ça comme un concept album ?
Devin : Complètement. Disons que pour moi le sens de ce disque est que les humains ont du mal à croire qu’ils peuvent être autre chose que ce qu’ils sont. Ils ont du mal à vivre pleinement leurs rêves quotidiens, dans le cas de Ziltoid : croire aux extra-terrestres ou être une rock star ! Il faut voir plus loin que la simple arrivée d’un extra-terrestre qui boit du café, qui devient une rock star pour réaliser qu’à la fin du disque il ne s’agit que d’un type qui rêvasse à son boulot qui se trouve être dans un coffee shop !

NicKo: A l’écoute de ce disque on a l’impression que musicalement tu as réussi la synthèse de SYL et du Devin Townsend Band (DTB). Etait-ce pour toi une évolution naturelle de faire rejoindre ces 2 projets ?
Devin : Totalement ! C’est libérateur pour moi de faire un disque où je peux tout mettre d’un coup sans avoir à calculer pour éviter que l’un n’empiète pas sur les traces de l’autre.
Ca m’a permis de faire exactement ce que je voulais comme je le voulais. Je peux même te dire que pour moi ça a été la meilleure partie du disque ! J’ai pu mettre une chanson plus pop, puis une plus heavy, puis une plus marrante sans avoir à trop réfléchir.

NicKo: La naissance de ton fils a-t-elle eu une influence sur ta façon d’aborder l‘écriture de Ziltoid ?
Devin : Non… pas encore mais je pense que dans un avenir proche cela pourrait se ressentir.
Ziltoid était un disque que je voulais faire depuis longtemps. J’étais à la maison, j’ai eu l’opportunité de le faire et j’en suis fier. Mais on verra dans le futur ce que le fait d’être père me fait faire ou ne pas faire.

NicKo: Ziltoid est un album plutôt marrant. Malgré cela, es-tu capable d’écrire un disque sérieux ?
Devin : Ho oui ! Je l’ai fait par le passé. Mais j’aime faire des conneries, j’aime en dire, je suis un gros nerd ! (rire) Il y a des tonnes de groupes sérieux dans le monde et je suis heureux d’être moi-même donc je n’en fais qu’à ma tête. Tu vois le résultat : je me retrouve en Europe avec une marionnette (rire).
NicKo: En parlant d’âneries, tu n’as pas pensé à pousser le concept « ziltoidien » plus loin en lançant une gamme de jouets ?
Devin : Ne ris pas, on me l’a proposé ! On a même parlé de faire un « Ziltoid Band » qui ne serait constitué que de marionnettes qui jouent et font des concerts. On m’a même parlé de faire un film !
Tout le monde est à fond sur Ziltoid mais en ce qui me concerne, je suis déjà passé à autre chose. Ok je suis là à vendre mon Ziltoid mais je ne veux pas en faire un truc ultra marketé. Certes c’est marrant mais ça doit être pris pour ce que c’est : le délire d’un gros nerd ! (rire) Pour être honnête, si ça devenait un gros succès avec des marionnettes, un film et toutes ces conneries, je pense qu’il y a longtemps que j’aurais lâché l’affaire parce que je ne me retrouverais pas ou plus dans toutes ces choses.
(silence)
Et même maintenant ! Quand j’ai fini avec toi, je dois faire ce stupide spectacle de marionnette ! (ndr – l’interview était suivi d’une conférence de presse donnée par Ziltoid en personne) Mais c’est complètement con mon pote ! Complètement con !
Je vais me retrouver avec ce truc en plastique sur la main et être là « blah blah blah » (prenant la voix de Ziltoid). C’est totalement idiot ! (rire) Je n’arrive même pas à croire que je fais ça. Ca craint mec ça craint ! Je suis en France et je me trimballe avec mon machin en plastique (reprenant la voix de Ziltoid) « hé je suis un extra-terrestre, je viens de la quatrième dimension ». Quel putain de geek je fais !
NicKo: Mais tu sais que ton délire avec la marionnette fait fureur sur le net ! Les vidéos de Ziltoid font tordre de rire un paquet de gens. Tu ne penses pas que tu pourrais exploiter ça ?
Devin : « Exploiter » est le mot clé ! Je ne veux pas exploiter Ziltoid ! C’est un petit mec sensible ! (rire) Je voulais m’amuser et si des gens rentraient dans mon délire, c’était cool ! Mais là je suis complètement dépassé par tout ça. Je me retrouve en France à faire mon Ziltoid show (Ziltoid fait son retour dans la conversation par le biais de la voix débile) « hé je suis Ziltoid l’extra-terrestre ! Posez moi une question ! » Au départ j’ai fait quelques interviews pour le fun et puis on m’a proposé de venir faire de la promo en Europe et j’ai dit « ok pourquoi pas ». Mais quand j’y réfléchis bien, tout ce que je voulais faire c’était une marionnette et un disque de métal! C’est dans l’avion en venant que j’ai réalisé et que je me suis dit « attends mon pote. Tu vas aller rencontrer des gens sérieux qui vont venir t’interviewer et toi tu vas leur parler comme si tu étais un extra-terrestre alors que tu auras un bout de plastique sur la main ». C’est du délire !
Faut être honnête avec soi-même. J’ai fait le spectacle de marionnette en Angleterre, je vais le refaire en France mais je pense qu’après ça je n’aurais plus du tout envie de le refaire.
Le truc à savoir avec Ziltoid, c’est qu’il est tellement à fond dans le café, que si il boit du thé, il se vaporise.
NicKo: donc il suffit de lui faire boire du thé pour s’en débarrasser ?
Devin : Absolument !
NicKo: tu sais quoi faire !
Devin : oui mais je ne le ferais pas. Captain Spectacular (ndr – un des personnages du disque) le fera sans doute d’ici peu (rire)

NicKo: Parmi tous les groupes que tu as produit, en dehors de SYL et du DTB, y’en a-t-il un que tu préfères ?
Devin : J’ai travaillé avec Gwar récemment c’était marrant ! La semaine dernière j’étais sur le chant du prochain Soilwork. Très agréable de bosser avec eux. En fait j’aime beaucoup Pro Tools, c’est pour ça que je produits énormément de groupes. J’ai apprécié tous les groupes avec lesquels j’ai travaillé donc en choisir un serait pour moi difficile.

NicKo: Qu’en est-il du prochain Zimmer’s Hole (groupe dans lequel on retrouve 2 membres de SYL)?
Devin : en théorie je devrais m’occuper uniquement du chant. Mais ils sont très indépendants et tout à fait capable de le faire eux-mêmes donc cela se fera en fonction de ce qu’ils décideront.

NicKo: Je me dois de te poser une question essentielle concernant SYL. As-tu fait le tour de la question avec ce groupe ?
Devin : Je l’explique de la manière suivante.
Quand j’étais jeune, j’adorais Metallica. Quand je dis que j’adorais ce n’est pas un vain mot. Et je pense que j’aurais continué à les aimer si ils s’étaient arrêtés après un certain nombre de disque. Ecrire de la country et se la couler douce n’aide pas vraiment. St Anger, Load et Reload… je ne veux pas de ça pour SYL. Je n’ai plus 23 ans, j’ai 35 ans ! J’ai toujours en moi cette tristesse, cette colère qui sont l’essence de Strapping mais je suis fatigué mon pote ! Je ne pense pas que cela soit juste pour les fans, pour l’héritage de Strapping et pour ce que le groupe représente de continuer pour continuer.
On m’a proposé beaucoup d’argent pour que je continue mais je ne veux pas être un putain d’acteur. Je veux rester maître de ma musique et de moi-même.
Donc la réponse à ta question est : OUI.
NicKo: Tu sais que tu risques de décevoir beaucoup de monde en disant ça.
Devin : Peut-être mais est-ce que tu me vois faire semblent sur scène ?
NicKo: pas vraiment.
Devin : Alors c’est que je suis un bon acteur.
(silence)
Le fait est que je déteste voyager, que je déteste faire de la promo, que je déteste être sur scène. Ce qui rendait SYL amusant sur scène pour le public c’est que j’arrivais et que je fais comme si j’en n’avais rien à foutre ! Et c’était le cas ! Je pouvais arriver sur scène et dire n’importe quoi, j’étais sur que tout le monde allait entrer dans le délire mais sans en connaître les causes profondes.
NicKo: c’est ce qui faisait le charme de SYL sur scène.
Devin : Oui… pour toi.
Disons que pour moi c’était amusant quand j’étais jeune et fort. Maintenant je suis vieux et fatigué. Je ne peux plus le faire correctement… au moins pour l’instant. Si je le faisais maintenant, je ne le ferais pas pour les bonnes raisons donc je ne dis pas « il n’y aura plus jamais de tournée de SYL », je dis juste que pour l’instant ce n’est pas à l’ordre du jour. Et ça risque de ne pas l’être pour un bon moment.

NicKo: Parmi tous les albums que tu as sorti. Quel est selon toi celui dans lequel tu as mis le plus d’émotions ?
Devin : MMMM je dirais Infinity.
A l’époque j’étais en plein changement, mentalement ou spirituellement peu importe. Et ce disque m’a aidé, il a été très important pour moi de le faire, il m’a permis d’extérioriser tout un tas de choses.
Mais encore une fois, aujourd’hui je n’ai plus la flamme que j’avais à l’époque pour faire ce genre de disque. La musique pour a changé. Avec Strapping, on a fait le Downlad Festival, l’Ozzfest et ça a été destructeur pour moi. On s’est retrouvé à vendre des chaussures, des médiators, des tshirts et tout un tas de conneries pour faire de la pub. Mais pour moi la musique ce n’est pas ça.

NicKo: fais-tu parti de ces artistes qui disent mieux comprendre leur musique en donnant des interviews… même si tu as horreur de ça ?
Devin : D’un certain point de vue oui.
Pour beaucoup, certaines de mes compos paraissent énormes mais c’est bien moins imposant qu’il n’y paraît. Ma musique c’est juste moi qui suit créatif. La chose vraiment importante pour moi et de surtout continuer à le faire. Que je tourne ou pas pour la faire connaître, je continuerais à faire de la musique pour toujours. Ca pourra être plus heavy que Strapping, ça pourra être plus mélodique que le DTB. Tout ce que je veux, c’est ne pas être le gars sous les spotlights. Je déteste être le frontman, je déteste passer pour une rockstar. Je ne suis pas une rockstar, je suis juste un musicien. Je déteste devoir débouler sur scène et gueuler « comment ça va ce soir ? ». Et moi ? Comment ça va ce soir ? Si je suis trempé à cause de la transpiration et que mes cordes vocales me font souffrir ça intéresse qui ?
Je fais ça depuis 15 ans et je peux te dire que l’Ozzfest m’a tué. Honnêtement c’est la pire expérience que j’ai pu avoir en tournée.

Devin Townsend

Devin Townsend

NicKo: Est-ce que tu t’impliques beaucoup dans ton label (hevydevy records) ? Je veux dire, dans le côté business de la chose.
Devin : Oui dans une certaine mesure.
Ce n’est pas moi qui écrit mes biographies (rires). (prenant une voix débile) « ce disque redéfini les limites du genre blah blah blah ». Si c’était moi, se serait plutôt du style « same shit different day ». (rires) Quoique pour celui-là j’aurais ajouté « celui-là a une marionnette ! ».
NicKo: J’imagine bien mais en terme de chiffres de vente…
Devin : que je les regarde ou pas je ne vends pas assez pour me faire de l’argent (rire). Mais si je compare avec l’époque où tout le monde ne téléchargeait pas les albums. Je peux te dire que maintenant plus personne ne vend de disques. En ce qui me concerne j’en suis au stade où je le fais parce que j’aime ça. C’est bête parce que beaucoup de gens semblent apprécier ce que nous faisons sur scène mais si nous ne le faisons pas pour les bonnes raisons… nous mentons ! A nous même et au public ! Et pour moi c’est inconcevable de faire ça… surtout pour un chèque !
La musique est quelque chose de tellement important pour moi que si je ne la fais pas pour les raisons pour lesquelles je devrais la faire, alors autant ne rien faire.

NicKo: tout à l’heure tu m’as dit que quand tu étais sur scène, tu n’en avais rien foutre. Alors dans une de tes séquences « j’en n’ai rien à foutre », quel est le truc le idiot que tu aies fait ?
Devin : houla j’en ai fait tellement (rire)
En 1993, nous étions au Japon et je suis monté sur une pile d’enceintes. Mais une montagne quoi ! Je me suis retrouvé à 4 ou 5 mètres au-dessus du public et j’ai sauté. Et pendant que je tombais je me disais « haaaaa merde je tombe toujours ». Et quand j’ai atterri je me suis tellement défoncé les pieds que je n’ai pas pu marcher pour le reste du concert. Le lendemain je n’étais pas frais et… ha mais attends, je crois que j’ai mieux !
Ca date de l’époque où je jouais avec Steve Vai. C’était en Allemagne de l’Est et on jouait dans une espèce de hangar d’aviation. On avait un stock de sample de pets et j’ai convenu avec le gars au clavier que dès que j’approcherais le micro de mes fesses, il lancerait certains de ces samples et faire croire que je pétais. Steve faisait son solo et moi je préparais mon solo de pets. Et puis à côté de la scène j’ai vu un extincteur. Et je me suis dit que se serait cool si je simulais les pets avec l’extincteur en plus des samples ! Il faisait une chaleur pas possible dans ce hangar, il y avait 4 ou 5000 personnes. Et quand le sample de pet est parti j’ai utilisé l’extincteur. Mais l’extincteur devait dater des années 40 et c’était un vieux machin à poudre. Du coup j’ai envoyé la poudre sur les 10/12 premiers rangs. Et avec la chaleur les gens ont commencé à être malade à cause du produit chimique, à se vomir les un sur les autres. Des ambulances ont commencé à arriver. J’étais mort de trouille et je pensais que j’allais avoir des emmerdes du coup je suis sorti de scène en courant. J’étais en colère après moi. J’arrivais près du bus et j’ai vu un sac dans un coin. Je me suis mis à passer mes nerfs dessus, à la fracasser contre le mur, à sauter dessus à pieds joints. Quand j’ai eu fini avec le sac je suis allé me planquer dans le bus. Un moment après, un gars de l’équipe arrive et me dit « surtout évite Steve il est fou de rage ». Là je lui dis que je suis désolé que je n’aurais jamais du faire le con avec cet extincteur. Et là gars me dit « non c’est pas à cause de ça qu’il est en colère. Il avait acheté une paire de bottes italiennes à 1000$ et du parfum qu’il avait mis dans un sac près du bus. Et quelqu’un à tout fracasser ».
(explosion de rire général)

NicKo: 2 petites choses pour finir, quelle est la question la plus con à laquelle tu aies eu droit en interview ?
Devin : Houla ! J’ai fait tellement d’interviews !
Je ne sais plus mais à mon avis il doit y en avoir quelques unes de gratinée ! (rire)

NicKo: un petit mot pour conclure ?
Devin : (imitant le terminator) « I’ll be back ». Laissez moi juste un peu de temps.
Pour l’instant tout ce que je fais c’est une tournée promo que je n’aurais probablement pas du faire pour vendre un disque que j’ai fait sur mon temps libre avec par-dessus le marché une marionnette !
Ziltoid va se mettre au thé, c’est une question de temps !

Merci à Devin, Oliver et Alex de Crypt’O ainsi qu’à Roger